Eh bien que d'interventions en une apm ! Je vais finir par rester connecté ici 24/24 moi !!
Alors quitte à paraître un peu torturé moi-même, je tiens à répondre à Engelho quant à ce premier prologue, que ce soit celle de Marion ou le journal de Jeremy. Tout d'abord, c'est la "marque de fabrique" de notre cher M. Chattam ; il y a toujours un prologue à ses histoires, non ? On en oublierait presque que c'est lui l'auteur de tout, je sais bien, mais c'est quand même lui... voilà pour un argument purement formel.
Pour un argument de fond, j'ai dit que le journal était faux... pas les crimes qu'il décrit. Car comment expliquer également l'article de journal que Marion découvre à la fin ? Non, non, l'auteur, ou les auteurs du journal, sont bien partie de faits réels, mais ils ont imaginé tout le reste autour. La plus grande force d'un mensonge est de s'enrouler autour d'un grain de vérité... Et cet article justement apporte de l'eau à mon moulin. Car si vous vous rappelez bien, Marion est choquée de la réaction de la personne interrogée qui craint que les enfants des colons soient eux aussi victimes du tueur... Mais Georges, le dernier enfant enlevé dans le journal, il est quoi ? Pas fils de pauvres égyptiens que je sache... Donc si aucun enfant de riche n'a été enlevé, c'est bien que le journal de Jeremy est un faux (eh eh, CQFD...)
Pour ce qui est de la deuxième question : qui est le vrai coupable, Jeremy ou Keoraz, je rejoins tout ceux parmi vous qui ont voté pour... Jeremy, eh oui, ce n'est pas vraiment une surprise...
Encore une fois, avant de développer, petite réponse à Engelho : ce n'est pas parce que le journal est un faux qu'il n'y a pas une "vraie" histoire... De même que ce n'est pas parce que M. Chattam a écrit un roman aux solutions multiples en apparence, qu'il n'a pas eu sa vérité d'auteur, qu'il n'a pas pensé lui à une "bonne" réponse à l'énigme... n'est-ce pas Engelho ?
Pour étayer la culpabilité de Jeremy, outre les différents arguments avancés par Joe lui-même - et s'il est l'auteur du journal, il est bien placé pour savoir où ça pêche..., j'en ajouterai quelques autres issus de notes prises à la seconde lecture. Ils ne sont pas forcément décisifs, mais comme le dit Marion, il fut un temps où les éléments concordants fondant une intime conviction étaient les seuls recevables. De plus, j'essaierai de toujours donner les pages, pour qu'au moins le texte de notre maître soit respecté à la lettre.
1 - Le wagon de Jeremy se trouve juste à côté de la ligne de tramway qui conduit à Héliopolis, lieu de résidence des Keoraz et ligne empruntée par Georges pour aller prendre ses leçons de musique (p. 80)
2 - Lors de la découverte du corps de Seleem, pourquoi Jeremy refuse-t-il qu'Azim monte le rejoindre (p. 100) alors qu'il n'a rien trouvé d'autre que des traces de sperme ? Moi je penche pour un besoin personnel de revivre une seconde fois les événements de la nuit, ou pour s'assurer qu'il n'a laissé aucune trace de son passage, perturbé qu'il était par ses pulsions, mais là , ok, j'extrapole...
3 - Jeremy refuse la proposition d'Azim de faire la chasse à la goule... (p. 160) Pourquoi, alors qu'il est le premier à penser à un homme portant un déguisement ? Aurait-il perdu cet instinct du chasseur qui semble tellement bien le définir ? Ou bien ne serait-ce parce qu'il s'emploie à d'autres gibiers... des enfants à torturer ?!
4 - C'est Jérémy qui refuse que Keoraz le conduise avec sa voiture rapide pour retrouver Azim, pourtant sur le point de dénouer toute l'affaire ! (p. 264) Au lieu de se précipiter, il prend le temps de rejoindre une antenne du commissariat à pied pour de là réquisitionner une voiture...
5 - ... qui pourrait lui avoir permis de conduire Azim à la nécropole pour le tuer. Il est d'ailleurs précisé que le tueur doit avoir disposé d'un véhicule (p. 275). Si Jérémy avait accepté la proposition de Keoraz, impossible pour lui de se débarrasser du policier trop courageux !
6 - La mort même d'Azim nous renvoie aux outrages subis par Jeremy sur le front - ou par le jeune soldat si on considère que Joe ment à la fin... - à savoir la sodomie, certes moins mortelle, et encore, psychologiquement, quand ce n'est pas librement consenti, un viol tue toujours une part de l'individu... D'ailleurs Jérémy lui même précise que le jeune soldat, une fois rapatrié à l'hôpital, passe plusieurs jours avec "pas un mot, pas un cri de souffrance, il se contentait de chier du sang". (p. 232) Comme Azim...
7 - Pourquoi Jeremy est-il en colère quand il lit la note du traducteur du manuscrit trouvé par Azim dans le souterrain ? (p. 293) Serait-ce parce que, en dépit de ses efforts pour faire taire le policier, un lien a été fait avec Winslow, donc avec lui ? J'ai du mal à croire que ce soit juste le souvenir de cet "ami" qu'il décrit lui-même comme un homme peu digne de confiance.
8 - Anecdotique, mais quand même... La référence à Agatha Christie ne renvoie-t-elle pas plus précisément au meurtre de Roger Ackroyd ? (p. 294)
Voilà le résultat de mes petites recherches
Et pour finir - ouf !!!! hein ? - petite description psychologique étayant mes thèses...
Joe est un manipulateur par excellence, il l'avoue lui -même, mais dans le sens positif du terme, pour enrichir la vie de ceux qui l'entourent. Celle de Grégoire en jouant le rôle du père qu'il n'a pas eu, celle de Marion pour qu'elle ne s'ennuie pas sur le Mont. Mais il n'en reste pas moins un personnage ambigu, à la manière de Keoraz d'ailleurs, qui ne justifie ses actes que par sa nature profonde d'être humain oscillant sans cesse entre différentes couleurs sur le fil de la vie.
Et je perçois Jeremy comme un homme meurtri qui reproduit ce qu'il a subi - ou vu subir - pendant la guerre. Mais c'est son tour d'infliger la douleur, de contrôler la souffrance et d'en jouir. Pourquoi des enfants ? Il en était presque un lui-même quand il part à la guerre. Et ils sont plus faciles à manipuler. Jérémy est un lâche par certains côtés, il refuse d'affronter la réalité - même sa sexualité hétérosexuelle et "normale", il ne la vit plus qu'en songe. Mais traumatisé par la pénétration anale, il ne peut passer à l'acte définitif, il se contente de se soulager sur les corps couverts de sang... d'ailleurs entre des griffes et des baà¯onnettes, les blessures ne doivent pas être très différentes. La seule fois où il "sodomise", c'est par l'intermédiaire d'un instrument et pour donner la mort - je me demande d'ailleurs s'il n'utilise pas le pied de tente dont il se saisit quand il sent une présence dans son wagon (p. 174). Keoraz, lui, n'avait aucune raison de tuer Azim de cette façon, et l'explication du vieux rituel égyptien ne vous paraît relever du mépris traditionnel des colons anglais pour les moeurs autochtones ? Non ? A ben à moi si
Voilà c'est fini, moi aussi je vous prie de me pardonner pour la longueur franchement excessive de tout ça, mais j'ai tellement planché que j'avais besoin, moi aussi, de le mettre par écrit... c'est tombé sur vous, pas de chance hein ?
Ceci étant dit, j'aime beaucoup ton explication jonsnow66, et elle est dans la veine de ce lyrisme que j'admire tant chez M. Chattam... Merci de me sortir de ma monomanie !