Tout d’abord ce qui m’a frappé c’est le style, plus raffiné, plus complexe aussi, gageant déjà d’un contenu qu’il l’est tout autant.
Dès les premières lignes, on sent nettement qu’un cap a été franchi, qu’il ne suffit plus d’images fortes mais qu'il s'agit d’une affaire de sens et d’intuition pour pénétrer dans ce passé recréé. Et pour asséner le coup final.
Les personnages sont authentiques, les caractères affirmés à tel point qu’on les sent exister curieusement là tout près.
J'aime les ambiances, les regards, les voix, les descriptions, l'univers dépeint. Tout y est palpable, on respire Paris.
Et bien qu'il y ait ces scènes, ces crimes, ces lieux,... atroces, sordides, écœurants,... de ce livre se dégage une lumière.
Ce Paris de 1900 ne me semble pas en noir et blanc, sale et désœuvré. Est-ce la force de cette exposition universelle dont on dit qu’elle fut la plus grandiose ou encore alors cela vient de cette histoire (d'amour) en parallèle semblant illuminée les ténèbres du crime... Je ne saurai le dire ?
Mes scènes préférées se déroulent dans les combles dans la chambre de Guy où les trois protagonistes explorent l'âme du tueur où ils dissèquent ses actes pour en comprendre le fondement. J'aime ces joutes intellectuelles,ces parties de ping pong cérébrales pour débusquer la vérité.
Maintenant, tout débute avec « je suis un lâche »?
Quelle drôle d’entrée en matière pour un héros ! Je me suis demandée si ce personnage allait me plaire ?
Alors je l’ai suivi au gré du roman, et si certaines de ses facettes sont pour le moins agaçantes, j’ai appris à l’apprécier avec ses défauts et ses qualités.
Si on finit par se laisser prendre par le récit c’est peut-être le jeu du conteur, cet homme âgé qui relate ses souvenirs.
Peut-être enjolive-t-il les choses, on a tendance à embellir nos souvenirs, pas pour tromper, mais peut-être est-ce juste notre inconscient qui s’exprime.
La vision du trentenaire célibataire, en ce début de 20e siècle, est tout aussi vraie à notre époque.
Passer le chiffre trente, il faudrait avoir femme ou mari et enfant sinon on est un, une raté. La société moderne ne pardonne pas la différence et le fait de la revendiquer. Pourquoi rentrer dans un moule qui ne nous correspond pas ?
En 1900, Faustine affronte le monde seule et trouve un moyen de subsister mais elle n’existe plus d’une certaine manière, sa vie d’avant, n’est plus qu’un rêve, parce qu'elle a revendiqué son droit à la différence.
Elle s’est, elle aussi, enfuie, mais doit-on dire qu'elle est lâche ou courageuse ? En tant que femme, évidemment je me pose en revendicatrice, et je lui prête le courage. Mais pourquoi ne veut-on pas prêter à Guy ce courage, parce qu'il est un homme et qu'il a abandonné sa femme et sa fille ?
On en est toujours à ces mêmes rivalités hommes-femmes l'un peut faire une chose l'autre non et inversement. Pourquoi ne réfléchissons-nous pas en terme uniquement d'humain ?
Ma réponse simpliste est la société dans laquelle nous avons été élevés, avec sa morale, sa religion, ses principes et ses vertues.
Je réponds en occidentale du 21e siècle, or qu'elle serait la réaction dans d'autres cultures ?
En 2010, 110 ans après, on n'est pas moins dur. Deux époques et pourtant la condition de la femme n’est pas forcément belle partout dans le monde.
Les stéréotypes et les clichés du monde soit disant moderne ont la vie rude. Nous sommes esclaves de la société d'une certaine manière, elle nous forge, nous inculque et nous dicte la bienséance et les conventions que nous sommes « obligées » de respecter. Pourquoi ? Parce que la majorité si rattache ? Est-ce normale, est-ce humain. ? Pourquoi vouloir tout banalisé, pourquoi vouloir écarter l'original, le décalé et oublier la part exceptionnelle de chaque être humain. Au nom de quoi ?
Cette fuite de la normalité est-ce vraiment une forme de lâcheté ? Alors la question qui me vient, qu'est-ce qu'on nomme lâcheté, en a-t-on une définition universelle ou chaque humain en porte une différente en lui et selon les situations ?
Pour en revenir à Faustine, cette beauté du diable, je trouve son personnage, éclairé, brillant, d’une logique presque trop parfaite, elle me fait penser à Juliette et curieusement elle lui ressemble. Elle a la même volonté et s'attire les pires ennuis.
On sait dès le premier regard qu’on pose sur elle que tout n’est pas ce qu’on croit être. Sa chambre est tel un sanctuaire et par extension son corps, son cœur, son âme. C'est un lieu cosy, voluptueux et imprenable. Un antre d’apparat pour cacher les blessures, pour que des yeux trop habitués à sonder l’âme ne puisse y voir que les tentures de velours.
Tout comme ses robes et son maquillage, cette chambre est un masque, un costume, pour annihiler son « moi ».
Et comme le nom du bordel qui annihile le moi des hommes, le boudoir de Soi...
Pourquoi tout est toujours aussi compliqué quand les sentiments s’emmêlent ? Aimer devrait être un acte simple, de bonheur, de joie, de plénitude, d’euphorie. Pourtant l’Homme l’a intellectualisé au point de rendre complexe une des plus belle chose sur terre.
En cette page 308, on ne sait s'il faut être euphorique ou désabusé, comme Guy qui outre le fait de se punir est en proie au doute et à la douce sensation de ressentir quelque chose de fort.
Tout semble s’éclaircir, il comprend, il ose poser des mots sur ses émois. Mais franchir le pas est trop dur, trop compliqué, car le « et si… » est lourd à porter.
Ce passage donne un ton mitigé, un « et si » négatif qui peut faire souffrir et qui empêche d'agir. Et un « et si… » positif ouvrant sur un avenir impossible à prédire, à contrôler. Est-ce l'écho de « je suis un lâche » ?
Pourtant, la dernière image est celle de l'incertitude de l'avenir et de laisser le temps au temps, une forme d’espoir.
On sent de livres en livres cette trame, ce fil rouge sur l’humanité : sa conception du monde, sa vision de la communication, son désir de posséder toujours plus, sa manière de tout transformer en bien de consommation.
L’avènement de l’ère industrielle a embouti des portes déjà ouvertes, les laissant béantes et fracassées, il est dès lors impossible de revenir en arrière. Si certaines de ces inventions miraculeuses du siècle passé sont indiscutablement un vrai progrès, d’autres ont créé un besoin. Cela nous renvoie directement à aujourd’hui nous sommes devenus les esclaves des objets, des outils, des biens que nous avons créés pour nous « faciliter » la vie. On devient incapable d’agir sans. Si bien que sans téléphone portable nous sommes nus, sans connexion internet nous sommes isolés du monde extérieur, et ce n’est qu’un échantillon.
Comment faisait-on avant ? Et ce avant n’est pourtant pas si vieux !
Pour ce qui est de l’autre personnage phare, le temps, l’homme a toujours voulu maîtriser le temps sans toutefois y parvenir. Son immatérialité en a fait l’objet de nombreux « mythes », histoires, contes…
On vit dans un monde qui n’a jamais le temps !
On court sans arrêt pour tout, et on ne le prend jamais, on ne savoure que peu souvent le temps qui passe, le laisser s’égrainer doucement, on vit à 200 à l’heure de peur de manquer quelque chose. On veut tout toujours plus vite, plus les années passent et moins l’Homme fait preuve de patience.
Les deux personnages sont dans une spirale de fuite en avant, tentant de précéder le temps pour qu’il n’est aucune emprise sur eux, de fuir le temps passé et de devancer le temps présent pour en garder le contrôle…
J'attends la suite aussi car j'ai l'impression que tout n'est qu'un début, nous avons vu que la partie émergée de l'iceberg...
Certains personnages, notamment Perotti m’ont fait une très étrange impression, il m’a fait l’effet du tueur en série voulant participer à l’enquête, voulant suivre pas à pas ceux avec qui il joue au final.
C’était comme si, les souvenirs de Guy n’était qu’un survol de ce qu’il était réellement.
Et même si débusquer cet horrible tueur n’a pas été simple pour les protagonistes, sa disparition l’est un peu pour ma part, c’est trop facile qu’il se fasse dévorer par le crocodile. Je pense qu’on en a pas fini avec, ou qu’il y a dessous autre chose de plus machiavélique.