Que de pages pour débattre de ce si petit texte..!
J’avoue, et vous présente toutes mes excuses pour cela, n’avoir pas lu l’intégralité des onze pages, j’ai survolé, faute de temps (Autre-Monde T3 chauffe sur le bureau), mais je constate qu’il y a débat, et c’est plutôt une bonne chose, non ?
Je vais tenter d’être limpide, dès fois que le point de vue de l’auteur puisse servir ces débats.
Tout d’abord, le titre de la nouvelle est à mon sens bien assez explicite pour annoncer au lecteur ce qu’elle contient. Un auteur ne choisit pas son titre à la légère, et celui-ci est bien assez clair ! « Le fracas de la viande chaude », c’est, comment dire ? très visuel ! Non ? De plus, il a un côté un peu « too much » qui annonce aussi la couleur. Donc jusque là, on ne peut pas dire que je prenne par surprise…
Habituellement, dans un roman policier, le tueur est « pratique ». Parfois immonde, souvent diabolique. Il tue pour une raison dont le lecteur tente de percer les secrets sur X pages, il y a une « mise en scène » autour de lui qui sert le récit, qui permet non seulement de créer du suspense, mais aussi, parfois, de dénoncer… et au final tout cela lénifie un peu la violence, du moins la rend acceptable tout le long du récit.
Cette fois, j’ai essayé de mettre de côté toute la littérature, et de me focaliser sur le tueur.
Un tueur en série sans fard, sans artifice. Une machine à tuer.
Pour rappeler au lecteur que sans le prétexte du thriller, le tueur est abject. Son crime détestable. Alors oui, j’en entends déjà certains me répondre que c’est tellement évident que ça en devient stupide. Sauf que dans le même temps, on me pose tous les jours la même question : pourquoi vos livres, et les histoires « noires » en générale, plaisent autant ? Sous-entendu : pourquoi aime-t-on tant les histoires avec des personnages terrifiants ?
J’ai justement eu envie d’interpeller le lecteur sur les raisons pour lesquelles il lit et aime ce type d’ouvrage. Car si les tueurs et les crimes dans mes thrillers (et ceux de mes confrères) sont habillés pour les rendre finalement plus acceptables, il est intéressant de voir comment réagit un lecteur lorsque ce crime et son tueur sont dépeints sans fard. Sous la lumière crue de leur violence, rien que leur violence, sans enrobage ni artifices à suspense.
Le lecteur est-il dégoûté ? Alors pourquoi poursuit-il ? Les mots ont-ils ce pouvoir hypnotisant ou est-ce ailleurs qu’il faut chercher la vraie raison ? S’il poursuit le récit, aime-t-il cette barbarie ? A quoi le renvoie-t-elle ? Qu’il abandonne sa lecture ou qu’il aille jusqu’au bout, j’aime à croire que cette nouvelle peut lui trotter dans le crâne un petit moment, et l’interpelle sur lui, et sur la violence.
Au-delà d’un léger twist final (cela reste une nouvelle policière et je voulais qu'elle en garde la forme - c'était aussi le principe du recueil) qui n’est à mes yeux pas l’élément important de cette nouvelle, il y a ce qu’elle dégage. Ce qu’elle raconte. Et l’importance de ce qu’elle suscite comme attirance/répulsion chez celui qui la lit. Et ce qu’il en ressort.
Le choix des mots est important. Ils sont choquants. J’ai voulu qu’ils résonnent comme un miroir des propres vices et limites du lecteur. Je n’ai pas été dans la surenchère, je ne suis pas d’accord avec ça, j’ai été jusqu’au bout d’un personnage qui est un tueur, pas plus pervers ou sadique que la plupart des tueurs en série de la littérature. Mais il n’y a pas le bouclier d’une narration indirecte et explicative entre ses actes et le lecteur. Il y a les mots crus de ce qu’il fait, et de son plaisir à le faire.
Oui cette nouvelle peut choquer, elle est faite pour ça.
Pour ouvrir une porte.
Certains la refermeront du bout du pied, d’autres ne la verront pas, et il y a ceux qui y jetteront un œil intrigué. Sans parler de tout ceux qui n’ont pas attendu cette nouvelle pour l’avoir franchie, et qui savent parfaitement à quoi ressemble l’ombre derrière leur porte, ceux-là, peut-être, prendront un plaisir plus intellectuel à cette lecture.
Je ne suis certainement pas un parfait artisan, mais je fais avec sincérité et passion, et jamais sans avoir un objectif précis en tête. Mes histoires sont toutes nées d’une question. Et si on me demande souvent ce que je peux bien avoir en tête pour écrire « des horreurs pareilles », en rédigeant « Le fracas de la viande chaude » ma question à moi était : « Et dans la vôtre, cher lecteur, qu’est-ce qu’il y a ? ».
Amitiés sanglantes.