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Mer Nov 16, 2005 7:01 pm
de darkstorm
L'Express du 25/04/2005
Best-sellers: finis les complexes
par Thierry Gandillot, Anne Berthod, Marie Zawisza
Il était un temps, pas si lointain, où les jeunes auteurs français n'osaient pas dire qu'ils donnaient dans la littérature de genre - thriller, fantastique, angoisse, suspense: ces mots faisaient... horreur. Aujourd'hui, ils revendiquent cette étiquette avec un certain aplomb, assez amusés, finalement, de ce pied de nez adressé à l'establishment littéraire. Et les éditeurs étrangers, qui, jusque-là , dédaignaient la production hexagonale, commencent à les courtiser à coups de millions. Même Hollywood s'y met. Les succès internationaux d'Eliette Abécassis, de Marc Levy, de Bernard Werber ou de Jean-Christophe Grangé ont bouleversé la donne. Cette réussite inattendue au pays de Proust et de Robbe-Grillet suscite des vocations. Les manuscrits de parfaits inconnus, envoyés par la poste comme autant de bouteilles à la mer, deviennent, en quelques mois, marketing aidant, des best-sellers. Cette semaine, L'Express donne la parole à deux romanciers déjà abonnés au succès, Maxime Chattam et Guillaume Musso, ainsi qu'à la révélation du moment, Alec Covin. Ils n'ont pas encore renversé Dan Brown de son piédestal, mais, qui sait? Un jour, peut-être... Tiens, c'est un bon titre, ça, coco. On dirait du Marc Levy...
Comment êtes-vous venus à la littérature de genre?
Maxime Chattam: A 14 ans, j'ai emprunté la vieille machine à écrire de ma mère pour réécrire à ma façon le film Stand By Me. Je voulais me raconter des histoires pour sortir de la vie réelle. Mon premier véritable grand récit imaginaire, Le Cinquième Règne, était un hommage à Stephen King. Après des essais écrits à la première personne, inintéressants, je me faisais enfin plaisir! Afin de pouvoir écrire du polar de façon très réaliste, j'ai rencontré des spécialistes et suivi, pendant un an, une formation de criminologie. Je voulais confronter ce bagage scientifique à la littérature fantastique de mon adolescence. Avec, d'un côté, le flic pragmatique et, de l'autre, le tueur en série incarnant l'aspect occulte, ésotérique. J'aime jouer avec les nerfs du lecteur.
Alec Covin: Adolescent, ma culture était déjà tournée vers les Etats-Unis. Je regardais Lynch et Kubrick, je lisais King, Lovecraft, Matheson... Depuis, j'ai placé la peur au cÅ“ur de mes préoccupations romanesques. Je compte décliner ce thème sous différents angles et dans d'autres genres. Ce sentiment foncièrement paradoxal révèle la part de l'homme la plus humaine et la plus animale à la fois. Quand j'écris, je me sens aussi une âme de comploteur. J'aime le secret. Mais le gibier que je chasse n'est pas, comme Maxime, le lecteur lambda, c'est le critique littéraire. Ainsi, la dernière phrase du roman lui est particulièrement adressée...
Guillaume Musso: Quand j'étais petit, je n'aimais pas lire. Jusqu'à ma rencontre, à 15 ans, avec Emily Brontà«. J'ai commencé à dévorer tous les romans qu'on lit à cet âge. En seconde, j'ai gagné un concours de nouvelles, en m'inspirant à la fois de l'univers onirique d'Alain-Fournier et de la façon qu'a Stephen King de faire surgir le fantastique dans une vie bien rangée. A 18 ans, j'ai connu le choc du crescendo amoureux avec Belle du seigneur, d'Albert Cohen. A 19 ans, j'ai enterré mon adolescence en partant en Amérique, où j'ai vendu des glaces pendant cinq mois. Je suis revenu avec des idées de romans plein la tête. Comme Maxime, j'ai enfermé le premier, autobiographique, dans un tiroir. Le deuxième, Skidamarink, était influencé par Arturo Perez-Reverte. Depuis Et après..., mes histoires sont au croisement de l'amour, du suspense - pas au sens policier, mais plutôt au sens du page-turner américain: on veut toujours tourner la page suivante - et du fantastique, par petites touches, pour que le lecteur balance sans cesse entre le rationnel et l'irrationnel.
Tous les trois, vous écrivez des romans à l'américaine. «A l'américaine», ça veut dire efficace?
M. Ch.: Faire «à l'américaine», c'est suivre l'exemple d'un Serge Brussolo, qui débarque dans les années 1980, au milieu des auteurs de polar social à la française, en écrivant un livre en quelques semaines grâce à son imaginaire débordant. Comme lui, j'ai ce savoir-faire. A mon avis, ce qui nous réunit tous les trois, c'est d'avoir à l'esprit qu'un romancier est un conteur avant tout.
A. Co.: Schématiquement, il existe deux écoles romanesques, celle du style et celle de l'histoire. Nous appartenons à la seconde. En France, le romancier styliste défini par Barthes se distingue du romancier conteur, attrape-rêves. Il y a même eu des martyrs: Jules Verne a d'abord été considéré comme un écrivaillon, juste parce qu'il était du côté du récit.
M. Ch.: C'est vrai que, en France, on aime bien tout cloisonner. Mais je crois au contraire que l'histoire ne va pas sans le style. Je ne prétends pas en avoir un, mais j'y travaille!
G. Mu.: Je suis d'accord sur le fait qu'il ne faut surtout pas se concentrer uniquement sur l'histoire. Sans le style, on est perdu.
Comment expliquez-vous votre succès? Le talent? Le marketing?
G. Mu.: Le marketing ne fait pas tout. Pour qu'un livre marche, il faut une petite part de talent, une grosse part de travail et une énorme part de chance. Dans le courrier abondant que j'ai reçu, on m'a beaucoup comparé à Marc Levy. J'en ai été très étonné. Quand j'ai commencé Et après..., il n'avait pas encore écrit Et si c'était vrai...!
M. Ch.: Etre comparé à Marc Levy ou, comme Alec, à Stephen King est forcément un atout. Mais c'est vrai que l'on a surtout la chance que nos sensibilités respectives correspondent peut-être à ce que le grand public aime en général.
A. Co.: Une histoire efficace n'est pas forcément corrompue. Quand Stevenson écrit L'Ile au trésor, il n'écrit pas pour devenir millionnaire, mais pour faire plaisir aux enfants.
Y a-t-il une recette du best-seller? Quelles sont vos ficelles?
M. Ch.: Je n'aime pas le mot recette. Certes, nous utilisons certaines techniques: des chapitres relativement courts, qui se terminent sur une révélation ou une présomption de révélation... Mais il y a aussi ce que j'appelle des gimmicks, pour lesquels je revendique plus une influence du cinéma que de la littérature. Ma façon de morceler le texte, en allant à la ligne à la fin de chaque phrase, vient ainsi d'un découpage visuel, que j'ai analysé. En pavé, le même paragraphe n'aurait pas le même effet. J'ai été nourri d'images, et c'est quelque chose que j'essaie d'insuffler dans mes romans.
G. Mu.: Pour assimiler ces techniques de construction narrative, j'ai fait des fiches de lecture, décortiqué des chapitres de thrillers américains... Mais s'il n'y a pas le fond, les techniques ne servent à rien. Sans histoire à raconter, on a beau savoir commencer, on n'arrivera jamais au bout. Et il ne suffit pas de faire un mélange de tout ce qui marche, en mettant du Levy, du Werber... On ne peut pas écrire un livre sans sincérité, sans cette part indispensable de compassion.
A. Co.: Au lieu de ficelles, je préfère parler de petits codes narratifs. Le fait de les connaître permet justement d'innover. Je ne nie pas l'influence cinématographique. Mais l'art du récit reste littéraire. Nos textes ne sont pas des scénarios. J'ai même introduit un nouveau personnage... dans mon épilogue! Cette petite audace serait impensable au cinéma.
Vous êtes français. Pourtant, vos romans se situent souvent aux Etats-Unis...
A. Co.: Il serait fou, aujourd'hui, d'écrire du fantastique en faisant l'impasse sur la vague de films (Rosemary's Baby, L'Exorciste, Shining, Alien...) qui a révolutionné le genre aux Etats-Unis, entre la fin des années 1960 et le début des années 1980. En prenant comme référent l'Amérique, j'assume ma filiation. On ne va quand même pas refaire du Maupassant ou du Gautier! Quel serait l'intérêt? Et puis, doit-on laisser l'Amérique aux Américains? On a une vision assez complexée de la littérature de genre. Prenons le cas de Sergio Leone, un Italien qui a tourné aux Etats-Unis, dans un genre américain, le western, avec un acteur américain, Clint Eastwood... mais avec son propre regard. Me reprocher de situer mon histoire aux Etats-Unis serait aussi bête que de reprocher à Stevenson d'avoir placé son récit de pirates sur une île.
M. Ch.: Il y a aux Etats-Unis la puissance d'un imaginaire collectif qu'on ne peut pas nier. C'est dix fois plus parlant dans l'esprit populaire de situer une histoire fantastique, un thriller ou une histoire d'amour féerique à New York qu'à Maubeuge. Il ne s'agit pas pour autant d'imiter les auteurs américains: on se planterait! Mais il a peut-être fallu que j'en passe par là pour, ensuite, m'affranchir de leur influence. D'ailleurs, mes prochains romans, comme celui-ci, se passeront en grande partie en France. C'est une question de thématique.
G. Mu.: Je n'ai pas de fascination béate pour l'Amérique. Mes références, c'est aussi Truffaut ou Barjavel. Et je n'exclus absolument pas de raconter un jour une histoire qui se passe en France. Mais le lieu donne une crédibilité et, pour une histoire d'amour un peu surnaturelle, New York, ville empreinte de mystère, où tout peut arriver, constitue le cadre parfait. D'ailleurs, on dit souvent qu'elle est un petit pays européen sur une rive américaine. La preuve: 90% des gens de Manhattan ont voté Kerry!
vous connaissez Covin et Musso??
moi pas du tout!

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Mer Nov 16, 2005 7:24 pm
de Remi
darkstorm a écrit: Mais il y a aussi ce que j'appelle des gimmicks, pour lesquels je revendique plus une influence du cinéma que de la littérature. Ma façon de morceler le texte, en allant à la ligne à la fin de chaque phrase, vient ainsi d'un découpage visuel, que j'ai analysé. En pavé, le même paragraphe n'aurait pas le même effet. J'ai été nourri d'images, et c'est quelque chose que j'essaie d'insuffler dans mes romans.
Rien à rajouter. Tout d'accord avec le monsieur !

C'est dix fois plus parlant dans l'esprit populaire de situer une histoire fantastique, un thriller ou une histoire d'amour féerique à New York qu'à Maubeuge.
Pas d'accord. Là , non, non, non, non... Moi je dis non, non, non, non, non parce que New York, c'est p'tet ben, mais ça vaut pas le clair de lune de Maubeuge. Non, non, non, non...